Il habitait un coin populaire mais il avait la tête d’un gosse d’Ennaser. Ce qui lui rendait naturellement l’intégration quasi-impossible avec des jeunes qui avaient comme unique faire-valoir de posséder un couteau suisse, d’origine chinoise dans la plupart des cas.
Il se faisait braquer régulièrement parce qu’il ne possédait aucun objet contendant. Quand on lui demandait son portable, son argent de poche… Il ne discutait même pas. Il baissait la tête avec une fatalité et une soumission des plus édifiantes.
Quand au lycée, des connaissances lui faisaient des remarques déplacées ou tentaient même de le mettre hors de lui, il ne répondait jamais sous prétexte qu’il était plus grand que leur bassesse et leur étroitesse d’esprit mais le fait est là, il avait peur de réagir.
Il se sentait paralysé, une hypertonie le gagnait, il se crispait et devenait incapable de réagir même s’il le voulait.
C’était sa manière à lui d’esquiver la confrontation, de se dégager du poids qui pesait sur sa conscience en lui répétant sans cesse qu’il n’était que lâcheté.
Il n’avait jamais les mots pour répondre, il préférait se taire et terrer ses maux entre ses côtes.
Même ses profs s’en prenaient à lui, il devenait rapidement une tête à claque, le moyen le plus efficace de déstresser était de lui coller deux baffes et de continuer son chemin.
Après quelques années, une maitrise en sciences économique et un nouveau job en poche, son employeur a pris la place de ses bourreaux d’antan et lui menait la vie dure.
Entre insultes, dévalorisation et harcèlement moral notre jeune diplômé ne se retrouvait plus.
Mais tout a changé le jour où il s’est acheté un punching-ball.
Il avait enfin trouvé le moyen de muscler ses bras trop grêles, de se défouler et de ne plus refouler ces échecs sociaux qui se répétaient, se ressemblaient et le rabaissaient à chaque fois plus.
Après une longue journée de travail, il revenait et ne parlait à personne sauf à son punching-ball. Gauche, droite, gauche-droite, uppercut, crochet… Il n’économisait pas ses efforts pour se venger, pour relever la tête. Il voyait dans ce sac, les visages de tous ses détracteurs, de tous ses tortionnaires qui n’avaient jamais daigné le laisser vivre en symbiose avec son environnement l’amoindrissant chaque jour sans qu’il n’arrive à répondre jusqu’à ce qu’il ne soit plus que poussière.
Aujourd’hui il n’a plus peur de la confrontation, il s’est soulevé, il ne craint plus d’être amoché, de se fracturer un tibia ou un humérus. Il s’est juré de ne plus se taire face aux injures et de redorer son blason.
C’est fini cette époque où il était plus pur, plus précieux, plus intelligent que de s’engrener dans des situations qui pourraient lui couter la vie.
Il a enfin compris que dans certaines sociétés, l’intégration se fait par la force du coup de poing et non pas par une quelconque philosophie élitique. Il était comme eux, et il se devait d’agir comme eux pour être en concordance avec son époque et laisser à coté tout anachronisme qui ne masquait que son impuissance.
Même son employeur a commencé à changer de point de vue, de comportement craignant ses réactions devenues pour le moins violentes.
Mais en cette nuit obscure qui couvrait ce quartier malfamé, le plus téméraire des voyous commencerait à trembler.
Mais à avoir trop souffert dans sa pénible existence, il n’avait plus peur du tout. Il avait cette curieuse envie d’être attaqué à nouveau comme s’il était obligé de prouver à tout le monde qu’il n’était plus ce même ado atone et coincé de qui on riait à longueur de journée.
Coup de chance, ou d’infortune, une étoile filante passait tout juste par là. Une bande de quatre individus a commencé à le filer.
Il n’en croyait pas son cœur. Pour une fois, il n’avait aucune crainte. Il était prêt au combat. Il n’attendait que le corps à corps.
S’ils allaient lui demander son téléphone, il préférerait mourir plutôt que de céder.
Ils lui ont sifflé, et ont commencé à le provoquer… Il s’est retourné en fermant le poing, s’apprêtant à surgir tel un preux chevalier.
Il n’eut même pas le temps de penser, et reçut un coup de couteau dans la gorge qui eut raison de toutes ses bonnes intentions.
Il a rendu l’âme sur le coup ce qui a laissé le temps à ses agresseurs de lui dérober tout ce qu’il avait et qu’il s’était, à juste titre d’ailleurs, promis de protéger jusqu’à sa mort.
Aujourd’hui git en plein Djellaz, un jeune de 25 ans à priori ne différant en rien des autres défunts mais qui n’est ni mort de vieillesse ni d’un arrêt cardiaque mais d’avoir trop rêvé, d’avoir espéré bousculer le cours des choses. Cependant, sous un certain angle il a réussi… Au prix de sa vie certes, mais il a tout de même réussi.
C’est peut-être pour cela qu’on a l’impression en se recueillant sur sa tombe, qu’en dessous il ne dort pas mais il sourit !