Il est 3 heures du matin. J'ai des milliers de choses à faire demain.
Mais je n'ai pas sommeil.
Je pense à toi, à moi et à nous deux... à tout ce que l'on a pu vivre et à nos larmes de joie, aux coups de matraque, à ma vie sans toi, à mes innombrables nuits blanches, la peur au ventre et le coeur enflammé.
Je pense à Rdayef en 2008, à Fahem Boukaddous, à Taoufik Ben Brik, à Zouhaier Yahiaoui, à tous les autres et à nos rêves perdus.
Au clair de lune, je vois le diable danser, j'entends au loin les pleurs des anges, viens ma Tunisie, éloignons-nous de ce brouhaha.
Il fait beau. Le ciel est dégagé. Un temps idéal pour s'en aller. Le moment opportun pour que le monde s'arrête de tourner. La dictature de la rue s'installe, Tunisie, on est dans la merde, toi, carrefour des civilisations et pays d'ouverture depuis toujours.
Des barbes décident de dégager des profs de dessin des lycées, des profs universitaires à la tenue pas homologuée. Des barbes dévorent les libertés individuelles impunément et personne ne s'indigne de ce qui t'arrive, personne ne condamne. On essaie juste de juguler la furie des esprits sclérosés. En attendant... Mais qu'attend-on au juste ? !
Viens ma Tunisie. Je n'ai d'yeux que pour toi. J'ai vendu mon âme pour te voir heureuse. Mais aujourd'hui plus rien n'a de goût. Tu brûles. Tu pleures. Non ! Il ne le faut pas !
Ben Ali, le dictateur s'est envolé, souviens-toi ! Quel beau jour, c'était !
Ta terre est chargée en souvenirs glorieux depuis la nuit des temps, de Hannibal Barca à AbdelAziz Thaâlbi en passant par l'abolition de l'esclavage et la première constitution arabe ! Ta terre a vu bien pire ! Et elle s'en est toujours sortie indemne, grandie, plus forte, plus belle, toujours, encore et à chaque fois avec le même sourire, la même assurance, la même fougue, la même légèreté !
Viens, montons les escaliers de l'Africa. Contemplons Tunis, la nuit, splendide comme jamais.
Ma Tunisie, ils ont brûlé ton drapeau, égorgé ta révolution, donné à tes yeux rieurs des allures afghanes au nom de je ne sais quel dieu, de je ne sais quelle cause.
Essuie tes larmes, ma patrie, tu ne peux pas mourir car tu es éternelle, tu ne peux t'estomper car tu es infinie. Tu ne peux t'incliner car tu es invulnérable.
Souris ! le monde nous appartient.
On forcera le destin. On créera l'espoir du milieu des ténèbres. On creusera des sillons dans la terre boueuse et on en fera des routes pour aller de l'avant. On séchera tes larmes. On desserrera l'étau qui t'étrangle. On rationalisera l'aléatoire. On perpétuera l'éphémère. On soignera ton insomnie. On camouflera tes cernes. Ton sourire brillera à nouveau sur nos vies ternies depuis que tu fais grise mine. On amnistiera tes espoirs condamnés à mort. On reconquerras ta liberté. On ne desserrera jamais plus nos poings. Tu nous trouveras au moindre besoin, à la moindre occasion, à l'affût pour te porter secours.
Si de tout cela, il n'en est rien. Si je me berce d'illusions. Si la perdition est inévitable. Si je ne puis rien faire pour toi.
Sache que je me battrai jusqu'au bout pour que tu ne sombres jamais, quitte à perdre ce que j'ai de plus cher.
Sache que je te donne en offrande mon âme et tous mes organes, puisses-tu en faire bon usage, puisses-tu saisir un jour à quel point je t'aime.
Je serrais ta main. Tu me dirais que tu m'aimes. On nous jetterait au feu. On mourrait heureux. On nous enterrerait ensemble. Je serai ta vie et s'il le faudra, ta tombe. Je serais ton hirondelle et ta colombe et pour s'occuper on creuserait des catacombes.
On bâtirait un monde dans l'au-delà où l'on vivrait d'amour, où l'on chanterait la nuit et où l'on dormirait le jour.
Mon pays, je crois en toi, même s'il fait noir. Peu importe si j'en tremble, vivons ensemble ou à défaut, crevons ensemble.