Mounir et lui se ressemblaient à priori comme deux gouttes d’eau. Ils étaient tous deux passionnés du Club Sportif d’Hammam-Lif, et quand ils se retrouvaient sur les gradins du stade municipal, on pouvait les entendre analyser d’un ton grave la prestation de chaque joueur, décortiquer comme il se doit, sinon plus, les péripéties des rencontres et commenter les déclarations de l’entraîneur qui était « aussi nul en coaching qu’en communication » comme aimait Mounir le rappeler à chaque fois que les circonstances le permettaient.
Mounir était aussi atteint de cette nostalgie presque pathologique envers un passé inconnu. De plus, Mounir était un bon vivant, relativement s’entend, vu ses revenus moyens d’ouvrier dans une usine de plastique de la zone industrielle de Ben Arous. Il n’évoquait jamais en public ce travail qui lui permettait à peine de vivre et de faire survivre sa famille dont il était le seul actif. Mais étant très bons amis, il avait confié à sa moitié qu’il était très humiliant d’accomplir une tâche d’automate et de répéter à l’infini les mêmes gestes ne faisant jamais appel à la raison. Il ne se voyait surtout pas finir sa vie dans cette boîte minable à affiner ses réflexes, il trouverait sûrement, un jour, une bouée de sauvetage à laquelle s’attacher dans cette vie fade et sans goût.
Ces derniers jours, Mounir inquiétait beaucoup son meilleur ami surtout depuis avoir tenu avec lui une discussion qui laissait présager le pire. Mounir lui avait dit avec émotion, tout en regardant le large :
- Je n’ai pas eu de chance dans la vie…
- Ne dis pas ça… La chance finira sûrement par te sourire un jour !
- J’ai tellement hâte que ce jour vienne…J’ai tellement attendu que la roue tourne… Cela fait des années que je rêve toutes les nuits de billets de banque portant l’image du célèbre poète Chebbi…
- C’est légitime d’aspirer à améliorer ses conditions matérielles, de rêver à entamer une fulgurante ascension dans l’ascenseur social…
- Oui… Le problème c’est que pour certains l’ascenseur social reste bloqué au sous-sol pendant toute une vie de dur labeur alors que d’autres ne font qu’amasser encore et encore ces fameux billets pas du tout romantiques contrairement aux apparences…
- Les classes sociales ont existé depuis longtemps tu contestes leur présence ? Tu ne serais pas marxiste ?
- Je n’adhère à aucun courant. Je pense seulement que c’est injuste de se tuer pour gagner quelques pièces…
- Que proposes-tu en échange ? Faut bien que les gens survivent…
- Je propose de quitter le ciel qui rechigne pour d’autres cieux, par exemple.
- Tu penserais à quitter le pays ? Mais pour aller où ? Et ta famille ? Tu es chez toi ici !
- Je serais toujours étranger là où on me fait si cher payer cette misérable vie ! Je me sentirais chez moi là où je pourrais aller en vacances, là où je pourrais m’orner de gourmettes 24 carats, là où je pourrais laisser un pourboire au garçon de café… Non je ne suis pas chez moi ici…
- Tu as une idée où tu pourrais aller ?
- Peu importe, du moment que je gagne ma vie et qu’on ne dise pas de moi à quatre-vingt ans : pauvre SDF ! J’irais probablement voir du côté du vieux continent il parait qu’il y est facile de gagner sa vie… comme ça si je meurs pauvre ce ne serait pas faute d’avoir essayé…
- Tu n’as pas idée sur la difficulté d’avoir une carte de séjour dans ces pays là !
Là, la face de Mounir vît se dessiner un large sourire, et il fît signe à son ami vers une barque amarrée juste devant eux. C’est là qu’ils se turent et qu’il comprît enfin que le temps des adieux était imminent. Il connaissait assez bien son compagnon de toujours pour affirmer que sous peu, il allait risquer sa vie pour essayer de rejoindre, « là où on ne meurt pas de faim »… Il en frémissait déjà…
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