Je vivais un des pires moments de ma vie. Je ne dormais plus. J'étais coincé dans ma perplexité à mesure que les atteintes aux libertés individuelles se multipliaient, que le terrorisme culturel devenait banal et que les partis, notamment le parti islamiste "modéré" d'Ennahdha se terrait dans un mutisme complice et criminel.
Entre temps, la troïka formée par la coalition tripartite (Ennahdha, CPR et Takattol) faut-il le rappeler, propose un projet de règlement intérieur faisant clairement le lit d'une nouvelle dictature et refusent la retransmission télévisée des travaux de l'assemblée constituante.
Ils proposent notamment de donner au premier ministre (a priori, Hamadi Jbali) des prérogatives de calife et un poste de président pour le moins folklorique à Moncef Marzouki.
Comme si cela ne suffisait pas à notre désarroi, le projet prévoyait en plus, le transfert de toutes les prérogatives du conseil constitutionnel au premier ministre en cas de circonstances exceptionnelles sans préciser la nature de ces circonstances.
Pour faire passer la pilule, on invente un faux problème, comme lors du faux-débat sur la laïcité.
Cette fois-ci, c'est au tour de la fac des lettres de Mannouba d'être la scène de cette mascarade visant uniquement à faire diversion sur le théâtre où se joue réellement notre avenir à savoir l'assemblée constituante.
Des sit-inneurs qui n'ont pour la grande majorité rien à voir avec la faculté, viennent réclamer que les filles en niqab puissent passer leurs examens contrairement à ce qui a été voté le 2 novembre dans le conseil scientifique de cette même faculté.
La nuit, j'y étais aussi. J'ai discuté avec ces jeunes, qui réclamaient rien de moins que: l'annulation de la mixité, que les filles soient dirigées par des femmes et que les hommes n'enseignent qu'aux garçons. Certains parlent même de cours en désaccord avec la chariâa et de profs qu'il faudra limoger parce qu'ils sont "mécréants".
Je me suis abstenu de répondre. Ce débat est moyenâgeux, pour le moins stérile et très loin d'être la priorité du moment !
Le réseau Dostourna commence par appeler à une manifestation au Bardo pour faire entendre notre mécontentement vis à vis de de ce "coup d'état institutionnel" comme l'appellera le journaliste du Nouvel Observateur.
La sauce commence à prendre. Mannouba vole la vedette au Bardo.
Tout le monde condamne les évènements de Mannouba et l'atteinte à l'indépendance de l'université.
Dilou monte au créneau au JT de 20 heures de tv7, use d'une langue de bois digne des années de plomb de Borhene Bsaies à la tête de la communication RCDiste.
Il affirme qu'un débat national devrait être entamé sur le niqab et le droit de ces demoiselles à un enseignement comme toutes les filles de leur âge.
Oui ! Vous ne rêvez pas ! Il réclame un débat national sur le niqab au moment où le pays coule économiquement et politiquement.
Pire encore, Jbali rapplique, il décrit le débat autour du niqab sur Express FM d'affaire nationale ! Excusez du peu !
Le sit-in du Bardo continue tout de même, malgré une vague de discréditation dans les médias officiels et les pages vendues à Ennahdha qui comptent des centaines de milliers de fans et qui mettent les moyens pour dépeindre des manifestants mécréants, franc-maçons, ennemis de Dieu qui s'obstinent à attaquer l'Islam.
La nuit, j'étais aussi présent quand des bandes de jeunes, cannettes de bière à la main, sont venues nous jeter des pierres, détruire nos tentes et voler nos vivres.
Quand je suis tombé sur quelques uns, juste après les incidents, je leur ai demandé pourquoi ils faisaient cela, ils m'ont répondu qu'ils étaient des quartiers avoisinants et qu'ils avaient marre de ces manifestants encombrants. En piochant un peu plus, ils ont reconnu que des gens leur ont offert de l'alcool en échange de ce "service".
On sait à qui profite le "crime" et on sait donc qui serait derrière. D'autant plus que, dans cette nuit là, il y a eu des voitures de location qui s'étaient arrêtées, d'où sont sortis plein de jeunes et qui nous ont pris de force nos tentes. Du crime organisé pour nous terroriser.
Pratiques ancestrales d'un parti mafieux. Des airs de déjà vu, notamment à la Kasbah !
Peu importe, le sit-in est là et il y reste tant que ces revendications restent en suspens. C'est notre droit élémentaire de manifester pacifiquement. C'est notre droit de s'exprimer.
Personne ne pourra nous en dissuader quelque soit la barbarie de ses méthodes.
Au Bardo, les journées sont longues. C'est en quelques sortes, un Hyde Park version tunisienne où des gens de différents courants viennent discuter.
Il suffit d'élever un peu la voix, même en parlant au téléphone pour qu'une foule se constitue autour de toi et vienne te postillonner dessus pour essayer de te convaincre.
Rien de plus beau jusque là. Sauf que le débat s'insinue, se perd dans des détails qui n'ont rien à voir avec les revendications de base du sit-in baptisé Bardo 1.
On vient discuter de niqab, raviver les sempiternelles querel
les entre l'UGET et l'UGTE, des airs de A3TA9NI, Manouba s'invite malgré elle au Bardo et il y a ces jeunes du bassin minier qui étaient là avant nous, qui ont leurs revendications sociales et qui sont submergés par la foule des slogans.
Il est par ailleurs, souvent nécessaire, sans vouloir paraître élitiste, de passer des heures à expliquer des notions de base de tolérance, de démocratie, de respect des minorités, de manifestations pacifiques...
J'ai aussi passé un bon moment à recentrer des débats vers l'essentiel, à savoir:
• La diffusion en direct des séances plénières de l’Assemblée Constituante.
• La nécessité de la séparation des pouvoirs et la définition des prérogatives de chaque pouvoir
• Le refus du cumul des pouvoirs entre les mains du chef de Gouvernement ou celles d’un parti.
• La nécessité du recours à la majorité de 50%+1 pour la nomination des trois présidences (celle de l’Assemblée Constituante, celle de la république et celle du gouvernement) et l’application de la même majorité de 50%+1 pour la motion de censure (révocation du gouvernement ou de l'un des ministres).
• Le vote pour chaque article de la Constituante avec la majorité des 2/3.
• La majorité des 2/3 doit être appliquée pour l’adoption des articles de la Constitution ainsi que pour l’approbation de la Constitution, même en deuxième lecture.
• Le rejet du transfert de toutes les prérogatives du Conseil Constitutionnel au chef du Gouvernement en cas d’empêchement du fonctionnement normal des pouvoirs, tel que mentionné à l’article 11 point 6 du projet de règlement provisoire des pouvoirs publics.
• La nécessité d’inscrire le code du Statut Personnel dans la Constitution.
• L’interdiction de cumuler les fonctions de membre de la Constituante et membre du Gouvernement.
Et puis vint le samedi 3 décembre 2011, où une contre-manifestation fut organisée par les jeunes d'Ennahdha au même endroit. Le parti islamiste avait rejeté toute implication dans cette manifestation même si on a vu les innombrables voitures de location d'Ennahdha rôder autour.
Deux rives, séparées par deux rideaux de policiers et des journalistes. Les politiques véreux ont su créer la fracture, polariser à nouveau la population et voiler les regards du peuple sur les questions fondamentales politiques et sociales du moment.
Ces gens sont venus scander sur des airs de chants de stades des slogans tels que:
"Ennahdha fel tali3a ooooh ooooh"
"Ommahét 3azibét, ommahét 3azibét" (Comme pour dire que nous sommes des bâtards)
"Ech garrabek mel cha3b ya ma*houta"
des menaces, des doigts d'honneur et j'en passe. (comme vous pouvez le voir)
Ils nous ont même lancé des pierres et des barres de fer en fin d'après-midi faisant quelques blessés. Les policiers sont intervenus avec des bombes lacrymogènes pour disperser les agresseurs.
Il faut savoir que quand l'autre rive a crié: "Allah Akber" nous avons fait de même, à leur grand étonnement. Quand ils ont fait la prière d'el Asr, nous avons respecté et gardé le silence. Quand ils nous ont dit "Dégage !", on a applaudi. Quand ils nous ont traité de bâtard et de pédés, nous n'avons pas répondu.
Au cours de cette journée, j'étais juste à coté d'un nahdhaoui qui semblait remonté à bloc, les raisons de son enthousiasme. Il m'a répondu: "Ils font cette manifestation A3ta9ni, ils boivent de l'alcool juste en face de nous et veulent que ce pays sombre" (idakhlou el bléd fi 7it)
Mon frère si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m'enrichis. Mais, Yerham waldik, quelques soient tes orientations, prends un moment pour lire les revendications du sit-in du Bardo 1 avant de le condamner.
Pour ceux qui sont convaincus, il ne suffit pas d'être solidaire dans votre coin, venez, personne ne vous mangera et plus nombreux, on ne sera que plus forts !
A bon entendeur.