Les fidèles du Boukornine

mardi 8 décembre 2009

Les appréhensions d’un journaliste



C’est l’histoire d’un journaliste fort d’une expérience de plus d’une trentaine d’années.

Passionné qu’il était, depuis sa tendre enfance, de ces évènements qui font bouger la planète dans tous les sens.
Il avait toujours sa plume à portée de main, pour retranscrire le plus fidèlement possible ce qu’il constatait.

Du haut de son impressionnante bibliothèque qui lui a conféré une culture riche et variée, il pouvait prétendre voir en des événements apparemment anodins pour le commun des mortels, des indicateurs sociopolitiques infaillibles.

Il se tuait à la tache pour présenter à ses lecteurs une information aussi bien formulée que présentée et surtout pertinente.

Ainsi, il arrivait à pondre de véritables petits joyaux, entachés parfois, il faut dire, par ces innombrables coquilles qui venaient se glisser insidieusement entre les mots.

Le lendemain quand son billet était sur papier, il s’enfermait dans son bureau à dénombrer ces fautes de frappe qui ont échappé à la présumée infaillible triple correction qui est censée passer au crible tous les écrits mais qui finit toujours par succomber à la superpuissance de l’imperfection.

Il ne savait quoi répondre quand on le croisait dans la rue pour lui faire savoir qu’on avait relevé un participe passé faussement féminisé ou un « le » qui avait sauté.
Il hochait la tête signe de gratitude, souriait et continuait son chemin.

Il vivait rongé de ses remords pour des fautes dont il n’était que partiellement responsable. Il était journaliste mais on le condamnait pour avoir eu la malchance de tomber sur un correcteur incompétent.

Ce sont des aléas connus de la vie de tout journaliste. Il l’avait admis avec le temps. Il est même arrivé au point de devenir indifférent face à tous ces mots qui lui jouaient sournoisement des tours.

Cependant, ce qu’il n’a jamais pu accepter c’est surement le sempiternel mal de la « dead line », voyez-vous, cette ligne de la mort au-delà de laquelle on ne peut plus diffuser aucune information sous peine de ne pas pouvoir publier le journal en entier.
Dans le journal qui l’avait engagé, depuis des décennies, la « dead-line » était fixé à 20 heures.

Durant toute sa carrière, il en est arrivé à ne plus compter les scoops qui lui ont passé sous le nez.

Il trouvait que c’était dommage de détenir une information en avant-première et de voir le lendemain des télévisions et des radios et autres plateformes beaucoup plus réactives que les journaux, en faire l’écho.

Souvent il prenait son téléphone et appelait tous ses amis pour leur annoncer la nouvelle comme pour avoir l’impression qu’il ne perdait rien.
Mais il savait pertinemment qu’en journaliste consciencieux qu’il était, c’était un échec cuisant à chaque fois qu’il privait ses lecteurs d’une information qui leur aurait été précieuse.


A trois ans de la retraite, sa vie de journaliste classique qui semblait vouloir demeurer inexorablement figée jusqu’à la fin de sa carrière, a pris une tournure passionnante.
En effet, il a fini par opter pour le journalisme électronique.

Depuis, les coquilles ne sont plus aussi pérennes qu’elles ne l’étaient auparavant : gravées à l’encre noir sur du papier de format A3 mais sont corrigées au fur et à mesure qu’elles sont découvertes ou signalées par des lecteurs.

La « dead-line » ne veut plus rien dire pour lui.
Il lui arrive de poster des scoops au beau milieu de la nuit.

Il n’aurait jamais pu croire gouter un jour au plaisir, de faire de l’ombre aux autres médias.

Plus vite que son ombre, il écrit, publie et voit les gens réagir avec plus ou moins de ferveur.

A l’heure qu’il est, je le vois, crayon à la main à devancer tout le monde.

Une nouvelle ère du journalisme vient de voir le jour, il est comblé d’être un de ses rayons de soleil.

1 commentaire:

zahraten a dit…

J'en sais quelque chose...et je partage
Mon époux est né journaliste et il avait écrit un jour en préambule d'un ouvrage qu'il avait commis en 2000 et qu'il avait intitulé "Cest écrit dans la Presse" ...""On nait journaliste, on ne le devient pas"" en réminescence de la célèbre et fameuse sentence de Simone De Beauvoir..""On ne naît pas femme , on le devient""§§§