«L’aïd el kebir » autrement appelé la grande fête ou fête du sacrifice.
Qu’importe quelle nomenclature est plus d’usage.
Ce moment privilégié de la vie de tout musulman même des plus démunis d’entre eux. Vu que L’islam incite à l’entraide et aux offrandes qui permettent de faire des malheureux en ce jour une infime partie de la communauté.
Oui !
Seulement en théorie !
Parce qu’avec des moutons de « petit calibre » à 500 dinars valant presque plus que leur pesant d’or, on ne peut pas dire que c’est une fête accessible à tout bon musulman, ou à toutes les bourses quelque soit le degré de piété.
Je cite à titre d’exemple le cas de Skander, un jeune diplômé chômeur avec son quotidien morose et sa vie d’un ennui placide.
Quand je l’ai croisé, le jour de l’aïd, il était attablé, le regard vide, autour d’un verre de capucin à trois cents millimes acheté avec des facilités de paiement, dans un des cafés hammamlifois les plus connus vu que d’un point de vue purement géographique, on ne pouvait vraiment pas le rater.
Se situant en plein rond-point de la ville d’Hammam-Lif à savoir le centre de gravité de cette petite ville fort sympathique mais engloutissant, je le reconnais, un tas de cas sociaux et de peines ancrées.
Il passait à revue tous ces aïds où ses parents lui ramenaient un mouton avec des cornes faisant un tour et demi. Il le sortait dans le quartier pour fanfaronner, étant de nature extrêmement vantard.
Quand il faisait ses études à l’IHEC de Carthage, il côtoyait les riches de la Tunisie. Il avait appris au fil des jours à partager leurs folies des grandeurs, leurs rêves incommensurables et leurs ambitions infinies.
A mesure qu’il escaladait les échelons académiques, ses rêveries enflaient.
Il se voyait déjà ministre des finances ou président de l’ONU.
Jusqu’au bien évidemment où sa maitrise est arrivée comme pour lui rappeler d’où il venait parce qu’il semblait avoir oublié avec le temps.
« Il est né pauvre, il mourra pauvre. »
C’était presque scandé en chœur le jour de sa soutenance par les présents.
Pourtant personne n’était présent puisqu’il avait opté pour l’huis-clos de crainte d’être intimidé.
Les chaises vides de la salle n’en avaient rien à balancer. Ils le narguaient.
Il était pourtant arrivé à les ignorer et à terminer son exposé en toute beauté.
Après cinq ans de ce jour fatidique, Skander s’est esseulé le jour d’un aïd où tout le monde est censé être heureux sauf lui et probablement aussi les gens qui lui ressemblent, à qui la vie ne semble pas daigner sourire.
Il est de confession musulmane certes. Mais il se permet de se poser certaines questions quant à cette fête du sacrifice.
Cette fête est le jour le plus difficile à vivre pour le jeune diplômé chômeur qui ne compte plus les mois d’oisiveté.
Il voit les gens sourire, défiler devant le boucher d’en face forts de leurs couffins qui peinent à englober toute la masse de viande qu’elles véhiculent.
Chaque coup de feuille de ce boucher d’en face est un supplice.
Pourquoi n’a-t-il pas un travail ?
Pourquoi ses parents sont morts ?
Pourquoi personne ne l’aide ?
Pourquoi ce qui est théoriquement la fête de la générosité tourne au cauchemar pour lui ?
N’ayant pas les moyens de s’offrir de la viande tout au long de l’année.
Il en est arrivé à oublier son gout.
La blague assez connue qui dit « Comment appelle-t-on les gens qui ne mange pas de viande ? Les pauvres ! », ne le fait pas sourire du tout. Bien au contraire
Il trouve qu’il aurait répondu pareil vu son expérience personnelle.
Et puis il se leva avec amertume pour mettre fin à ce calvaire saluant au passage ce tortionnaire par excellence qu’est le boucher d’en face et quitta les lieux.
Il est déjà 17 heures, cette journée est bientôt finie. Il s’en va noyer son chagrin dans un verre d’eau à la concentration surélevée de calcaire pour faire passer ces calmants qui lui permettent de vivre ou plutôt de continuer à rêver.
Puisque le rêve éveillé s’est révélé impossible.
Il est devenu réaliste et s’en remet à Morphée.
Demain, il respirera un bon coup. Il lui restera une bonne année à vivre pleinement sa misérable vie avant que la fête de la générosité ne vienne le lui rappeler.