Les fidèles du Boukornine

lundi 11 octobre 2010

Un petit bout de vie...

On naît dans un cocon familial bellissime.
On grandit au rythme des dualités sacré-profane, vertu-vice et paradis-enfer.
On croit nous commander notre destinée et nous tracer un chemin fleuri.
On y adhère, nous aussi. Vu la beauté de la thèse et notre suggestibilité puérile.
On nous apprend, tout de même, qu'on a le droit de discuter, de crier quand on se sent injustement punis, que la liberté et l'amour existent et qu'ils régissent l'existence.
On découvre les amis, les amours, les feuilletons mexicains, Antonio, Max et surtout Raquel, les baisers volés, l'amour innocent et enfantin où les oiseaux servent de chefs d'orchestre et les nuages de nids d'amour.
On enchaîne les paquets de Grain d'Or, l'air de dire, c'est bien beau d'exister.
On réclame que les frites accompagnent tout plat que Dieu fait. Peu importe, si le bon goût tente de s'y mêler.
Le cholestérol, étant pour nous, l'unique voie du salut.
On regarde le sexe opposé avec intérêt, surtout la petite fille qui avait fait valser mon cœur. C'était mon premier amour, ma première preuve vivante de son existence, mon premier leurre et le premier piège dans lequel j'ai été pris avec tout le plaisir du monde.
Par ailleurs, on ne nous laissait pas nous abandonner à notre belle insouciance, mais on se permet de nous enfermer dans des crèches à la con, où des institutrices aux discours belliqueux nous terrorisent et nous font réciter des slogans pro-Irak dans la première guerre du golfe.
Nous a-t-on demandé notre avis ? Je me fais gronder quand je lui raconte que je ne me suis pas encore fait mon avis là dessus.
"Traître ! Saddam, c'est presqu'un prophète, presqu'un Dieu, alors éteins ton esprit critique et chante ses louanges comme on te dit"
Je me suis tu et j'ai quitté cette crèche là.
D'ailleurs, j'ai changé de crèches comme on rote après un repas gras et déséquilibré, avec une facilité et une répétition déroutantes.
Ayant eu du mal avec l'autorité. Ne saisissant pas, de quel droit autrui pouvait m'imposer ces lois auxquelles je n'ai ni participé à l'élaboration ni accepté les rouages.

Par la suite, vint l'adolescence, apportant son lot de questionnements existentiels et aggravant l'anarchisme qui nous animait déjà, tout jeune...
Pourquoi suis-je là ? Quelle voie emprunter ? On se révolte contre tout et n'importe quoi comme tout ado digne de ce nom pour se donner l'illusion d'exister à son propre compte et d'avoir des avis personnels.
Les parents ? Pourquoi faire ?
La religion ? J'ai une meilleure idée, le Rami dans les cafés perdus de la rue des salines. En plus, si tu perds tu paies.
Si tu n'as pas de sous, tu feras la vaisselle.

On tutoie Dieu, on lui demande pourquoi ils nous a créé du côté des losers... Pourquoi les mécréants sont forts et unis ? Pourquoi l'Espérance gagne tout ? Pourquoi Slim Chiboub avoua impunément que son équipe était avantagée par les arbitres? Pourquoi le CSHL dut quitter la nationale ? Pourquoi les études nous ennuient ? Pourquoi les profs de philo ne jurent que par des philosophes morts et enterrés et ne nous disent jamais ce qu'ils en pensent personnellement ?
Pourquoi l'opposition politique est diabolisée ? Pourquoi l'Islam fait peur ? Pourquoi l'occident est beau ? Pourquoi Tunis est moche ? Pourquoi on n'a pas de pétrole ? Pourquoi les arabes accumulent les sommets pour émettre des discours enrichis en bois alors qu'ils en servent à leur peuple tous les jours ?
Pourquoi ? Pourquoi ?
Comme ce fut le cas à la crèche, on nous pria gentiment de se la boucler... Ce que nous trouvâmes du mal à réaliser.
La directrice du lycée, les surveillants généraux, les surveillants et le censeur en fîmes les frais.
Nous avions faim de liberté, soif de vie et de rires.
Nous sûmes boire le calice jusqu'à la lie.
En sortir grandis et de meilleurs citoyens.
Nous cassâmes des verres, fîmes la loi dans l'enceinte du lycée, scandâmes des chants révolutionnaires que j'écrivais pour la plupart, quand je ne dormais pas.

Bien sûr, nous eûmes des frissons, des frayeurs, des émotions, des punitions et des coups de gueules mémorables mais nous sûmes rester dignes en toute épreuve.
Nous stoppâmes les cours quand la Palestine fit son Intifada parce que la Palestine, on l'aime bien mais surtout parce qu'on voulait goûter à la saveur exquise de la liberté, celle dont on voyait nos ascendants castrés.
Nous avions du culot, de l'humour, de l'énergie. Nous savions trouver les mots, galvaniser les troupes et organiser des tournois de football pour foutre la merde où que nous passions.
Nous faisions des collectes pour venir à bout des préparatifs de ces fêtes.
A cette époque là, les fumigènes et les feux de Bengale n'étaient pas interdits par les lois en vigueur, ce qui n'empêcha pas le surveillant général de nous prendre à parti avant que nous ne lui rendîmes la monnaie de sa pièce.
Là aussi, l'amour fit trembler nos âmes à l'intérieur de nos enveloppes corporelles. Nous vîmes une princesse s'approcher au loin et nous sentîmes aussitôt des palpitations et des sueurs froides à mesure que sa silhouette s'affinait.
C'était elle, et pas quelqu'un d'autre. Nous vîmes nos esprits s'embraser et nous commençâmes à penser que les parents avaient raison, l'amour fou fut...
Puis, les jours défilèrent et nous comprîmes à nos dépens que les belles choses étaient créées purement et simplement pour meubler les pages des romans.
Nous quittâmes toutes les filles de la terre et épousâmes, de ce pas là, des causes séduisantes quitte à voir nos parents convoqués toutes les semaines auprès de l'administration pour discuter de la sauvagerie de nos revendications...


Nous marquâmes notre époque, nous vécûmes fièrement et dignement, nous déchaînâmes nos âmes tremblotantes et le plus important, nous réussîmes brillamment notre BAC, ne sachant pas qu'au-delà de cet examen fatidique, allait commencer un autre calvaire, d'une toute autre espèce...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

parcours époustouflant. merci.

Béa a dit…

C'est une lecture toujours passionnante, d'un passionné de la vie qui m'émeut, me fait sourire, rire et parfois m'attendrie aux larmes...

annie a dit…

Un parcours parallèle à celui de mon mari, né sous la colonisation française (mon pays), presque 10 ans à l'indépendance, jeunesse foisonnante surtout lorsqu'il eut quitté Gafsa pour Hammam-lif à 15 ans, H'lif, la ville de toutes ses vacances, encore dans notre coeur (je l'ai adopté qd je l'ai découverte, en 1970.... elle m'est apparue comme une ville de poupée..; avant le massacre à la tronçonneuse) parcours donc fait de rebellion, de refonte du monde et de cette belle liberté si chèrement acquise..... et si vite disparus.... alors je vous lis, en souvenir de nos jeunes années (j'ai connu mon mari si jeune que nos deux jeunesse se confondent.... richesses que d'avoir eu une jeunesse française ET une jeunesse tunisienne dans les années 70) et à cause d'Hammam-Lif, du Boukornine....

Boukornine a dit…

Vos commentaires me vont droit au coeur d'autant plus qu'il s'agît de deux personnes pour qui j'ai beaucoup d'estime.
(Je suis désolé pour le premier anonyme que j'ai sauté au passage :p)

Merci infiniment de m'encourager mesdames !