Jamais je ne pourrais oublier ce jeune homme de 25 ans diabétique depuis sa tendre enfance qui a fini par subir la cruelle sentence de devoir s’acquitter d’une exorbitante partie de son membre inférieur droit en guise de tribut imposé par le destin pour qu’il puisse continuer à vivre.
Comment le pourrais-je vraiment quand ce jeune arrivait à garder le sourire en dépit de la rocambolesque tournure qu’a pris sa vie.
Enfant d’un quartier populaire de Bab Souika, il était, naturellement, un féru de l’Espérance Sportive de Tunis.
Il avait les larmes aux yeux quand il me parlait de ses souvenirs dans la quasi-totalité des stades du territoire tunisien. Il suivait le club partout. C’était un inconditionnel. Peu importe qu’il neige ou qu’il pleuve, il était toujours là, le jour J à applaudir et encourager ses idoles.
Les études n’étaient pas vraiment son point fort, c’est pour cela que son choix de quitter prématurément les bancs du lycée n’était qu’un choix raisonnable et d’une remarquable suite dans les idées.
Il avait tout de même une logique imparable dés qu’il commençait à parler, une véritable éloquence qui retenait toute l’attention de ses interlocuteurs.
Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il pouvait se mettre à la politique parce que malheureusement pour lui, il ne savait pas mentir.
Je l’ai senti le jour où le Club Sportif d’Hammam-Lif a fait match nul avec ses « sang et or » au stade d’El Menzah et a rétrogradé de ce fait ce club à la deuxième place du championnat derrière le Club Africain. Quand j’essayais de le taquiner, il évitait de me fixer dans les yeux de peur probablement que je décèle dans son regard un brin de colère. Ce qui était fort courtois de sa part.
Chaque matin, toujours à la même heure, je me dirigeais vers sa chambre, première à gauche du « Coté hommes » de ce service dont le nom et l’architecture laissent à penser que ce ne pouvait être qu’un couvent dans une être ère.
Je refusais de fixer cette jambe amputée, ce qui aurait été normal vu que je suis un étudiant qui est là pour apprendre à travers ces malades.
Mais lui, c’était un malade d’un autre genre. Il était trop jeune, trop fragile, je pense, pour que j’aie le sérieux d’examiner cette profonde blessure qui balafrait la morphologie de son corps.
Il était hospitalisé depuis des mois en attendant que la plaie se referme et permette à sa famille de lui fournir une orthèse.
Ce qui me semblait incroyablement herculéen de sa part, c’est de n’avoir pas perdu sa joie de vivre alors que je suis certain qu’il ne s’y attendait nullement d’être réduit par un handicap pareil aussi rapidement.
Dans une expérience passée, j'ai vécu des moments que je qualifierais d’insignifiants par rapport à ce qu’il est amené à vivre. J’ai, cependant été amputé de mon sourire pendant fort longtemps.
Mais il est des gens que la vie n’arrive pas à faire sombrer et ce n’est pas du tout faute d’avoir essayé…
[Texte dédié à Ahmed, un patient qui ne se reconnaîtra pas]
2 commentaires:
la plaie a cicatrisé et il va bien, il aura bientôt son appareillage...
sinon la chambre c'est la H18 ;)...
Abay ! :)
Enregistrer un commentaire