Il a trente piges.
Sa mère l'a nommé Amine.
Mais tout le monde le surnommait Gaddour.
Aucun lien n'existe entre les deux. Mais dans un quartier populaire, quand les gens te désignent un pseudonyme, tu ne peux que t'y faire ou au mieux essayer de l'assumer.
Il n'avait aucune qualification, aucun niveau d'instruction.
Il avait quitté l'école assez tôt pour n'en garder que de très vagues souvenirs.
Il a toujours été chômeur. Jamais essayé de s'adonner à la mécanique malgré les incitations répétitives de son voisin Hammadi.
Dés l'âge de quinze ans, il est entré dans la cour des grands.
Il abordait des touristes allemands en faisant jouer nettement plus ses sourires ravageurs que ses connaissances si restreintes de la langue de Shakespeare.
Il a eu droit aux plus belles femmes qui soient. Aux restos les plus huppés. Aux palaces les plus inaccessibles.
Tout ce que Hammadi gagnait en un mois, il pouvait l'amasser en deux heures de temps.
En plus, il ne faisait que ce qu'il aimait faire.
S'amouracher pour de l'argent. C'est un deal raisonnable, agréable, rentable et surtout quand tout se passe sur les plages de sable fin de ce légendaire golfe d'Hammamet.
A travers les yeux d'une blonde qui rentrera en Russie demain, à qui il déclare avec un naturel étonnant: " I love you!", il se sent vivre, il se sent puissant et enfin, il a l'impression de contrôler la situation.
Demain elle s'envolera chez elle.
Elle ne cherchera plus jamais à le contacter, lui non plus.
Tant que "la marchandise" est disponible en abondance, que faire des relations à distance ?
Des années se sont écoulées. Aujourd'hui, celui qui se présente à ses conquêtes en tant que "Gad, a tunisian engineer", se sent blasé.
Celui qui arrive par de simples mots, des ondes vibratoires qui secouent le tympan auditif de la personne en face, à faire succomber des dizaines de superbes créatures, se sent inutile.
Qu'a-t-il fait de sa vie finalement ?
A part vendre du bonheur éphémère aux gens au prix de sa dignité...
Il se la pète sur la plage, certes, mais comme pour masquer sa honte de n'être qu'un parasite, un arnaqueur qui vit aux dépens de celles qui l'écoutent.
Il envie ce Hammadi qui gagne durement sa vie, pour nourrir ses quatre enfants et sa femme qui n'est autre que sa cousine, arborant un sourire qui ne le quitte jamais que ne connaissent que les gens heureux.
Il n'a rien et pourtant il a tout...
Son sourire à Gad, il le laisse au pas de la porte. En enlevant ce masque de guerre, tel un clown qui rentre chez lui après une longue série de spectacles, n'emportant chez lui que quelques dinars et un coeur gros.
En se regardant dans la glace brisée de son studio vide depuis le départ de sa mère, il se dit que lui, qui a tout pour plaire, est aussi désert que cet appart jadis comblé par la présence magique d'une maman qui ne le verra jamais dans le fabuleux costume du marié.
Comment pourrait-il oser envisager de se marier ? lui qui n'a d'autre ressources que d'attirer des touristes peu fortunées dans son lit ou le leur pour être plus précis.
Mais aujourd'hui, Gad veut en finir une fois pour toute avec sa vie de vagabond.
Il veut bâtir un foyer. Penser à demain. Délaisser le business qui a fait de lui un gigolo pourri avec qui aucune famille n'accepterait de marier sa fille.
En se dirigeant ce matin vers le garage de Hammadi pour lui faire part de son souhait de se "ranger" il fut interpelé par une feuille dactylo collée sur le rideau métallique où était inscrit Allah akber, Hammamdi venait de décéder dans la nuit...
C'était aujourd'hui qu'on avait prévu de l'enterrer...
Gad se dit alors, que c'est peut-être un signe du destin, il rebroussa chemin et pris un taxi pour la zone touristique...
1 commentaire:
Salut ! Pas mal le poste ! Je regrette que le dernier, qui parle de Ben Guerdane, ait été supprimé. Quelle en est la cause ?
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