Dans ce couloir lugubre truffé de chambres qu’on se plait à dénommer box, s’entassent des dizaines de malades.
Le lendemain, ils auront soit eu trop peur pour leur vie, soit eu le bon reflexe juste à temps soit pas assez de veine pour passer ce cap aigu en toute sécurité.
Mais la majorité écrasante s’accordera à affirmer que pour un pays classé premier au Monde Arabe et en Afrique dans un certain classement basé exclusivement sur la qualité de vie, c’est quand même curieux de se retrouver dans ces conditions tellement lamentables dans ce qui est considéré comme étant une grande artère du secteur médical du Grand-Tunis.
Ahmed un jeune habituellement souriant d’el Mallassine, simplement heureux de vivre qu’importait sa condition, se trouvait étendu aux côtés des innombrables Mohamed qui se tordaient de douleur en silence et des infinies Fatma qui piquaient leurs crises d’hystérie (ou crises H dans le jargon médical), tranquillement sous les regards à la fois effrayés et compatissants des Mehdi et des Samira qui les accompagnaient.
Il se faisait vraiment tard.
Dehors, ce n’eut été ces circonstances, on aurait pris un malin plaisir à apprécier une tasse de thé pour mieux être submergé par la quiétude de ce silence qu’on ne pensait jamais atteindre ce coin du monde malmené par les klaxons des taxis qui l’envahissent d’habitude, cette espèce de conducteurs hélas étrangère à toute forme de patience.
Ahmed perdit définitivement le sourire. Il fallait le comprendre le pauvre avec treize coups de couteaux qui lui ornaient l’abdomen et le thorax, on ne pouvait pas lui demander davantage de compréhension.
Pouls filant, tension imprenable, arrêt cardiaque… Réanimation acharnée…
Le patient récupère… Mais son cœur insiste pour avoir le dernier mot.
Heure du décès : 3h55.
Le braquage à l’arme blanche a eu raison de son âme.
Le médecin urgentiste impassible, coche la case obstacle à l’inhumation du certificat médical de décès et réclame de ce fait une autopsie.
Pourtant, à ses débuts, ce médecin pleurait toutes les larmes de son corps à chaque mort à laquelle il était confronté.
Le jour de l’aïd el kebir, il refusait d’assister à l’assassinat de cette créature innocente qui avait simplement eu le tort d’exister.
Aujourd’hui, le terme « mort » ne signifie plus pour lui qu’une place vacante de plus dans les lits du service. Ceci ne veut aucunement laisser croire qu’il n’était pas compétent ou qu’il se désintéressait de la vie de ses malades. Bien au contraire, il s’obstinait à donner le meilleur de lui-même pour assurer la survie de chaque patient qui le croisait.
Mais à voir autant de morts, c’en devient naturellement banal. La fibre sensible s’anesthésie et finit par succomber sous le poids de l’expérience.
Il est aussi des nouvelles apaisantes émanant de cet édifice plus angoissant que la villa d’Amityville, Les Mohamed n’avaient rien de grave et sont retournés chez eux avec une simple prescription d’antalgiques.
Les crises H et leurs spectaculaires théâtralisations ont fini par s’estomper. Les familles des malades ont compris que ce n’était autre qu’un signal d’alarme et un appel à l’aide.
Ils rentreront épaulés, se tenants les mains dans une ambiance des plus fraternelles.
La vie continue dans le service des urgences et suit son cours inéluctable sous le regard bienveillant des blouses blanches.
Le personnel au cours des rares périodes d’accalmies sortira prendre l’air et boire un café pour faire semblant d’adhérer à la tranquillité de ce qui reste de la nuit en attendant une autre vie à sauver…
1 commentaire:
Ébloui.
Je tire mon chapeau!
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